dimanche 6 septembre 2015

Rentrée littéraire       semaine 1
C'est la rentrée littéraire, le moment pour nous de vous rappeler l'existence de la collection L'Orpailleur dirigée par Christophe Havot chez az'art atelier éditions.

Nous commençons avec Un débarras, le livre qui nous a donné envie de nous lancer dans l'aventure de l'édition. 
image de Laurent Maginelle

Extrait (p56 à 59) : 
(...) le temps n’est-il pas venu de mettre un terme au soliloque, à l’apitoiement sur soi-même, au ressassement, ou bien, de s’y abandonner une dernière fois, ressasser une bonne fois pour toutes, ouvrir ces cartons, ressasser et ruminer afin de pouvoir passer à autre chose, quand j’en aurai terminé, je passerai à autre chose c’est évident, ou bien je cesserai tout à fait d’écrire, je creuserai la terre autour de la maison, je la retournerai, je bêcherai et labourerai, je ferai des semis, j’arroserai, puis, assis dans un fauteuil de rotin sur la terrasse je deviendrai comme cet homme que j’observe parfois de l’autre côté de la rivière, un vieil homme qui demeure assis du matin jusqu’au soir, si la pluie ou la neige s’abattent sur le jardin, il se réfugie dans sa cahute, il ouvre la porte et demeure au pied des plants de rhubarbe, du matin au soir, il regarde les plantes pousser, et, quand l’hiver venu la neige a tout recouvert, il regarde la neige recouvrir le jardin et les collines environnantes, il est devenu ses plantes, je me vois tout à fait finir comme ça, je préfère finir comme une plante plutôt que comme un île flottante sur la table crasseuse d’un restaurant pour représentants de commerce, quand j’en aurai fini avec ce récit, récit n’est pas le mot ­correct bien sûr, diarrhée, diarrhée verbale conviendrait mieux, je passerai à autre chose certainement, à tout autre chose peut-être, peut-être n’éprouverai-je absolument plus la nécessité d’écrire quoi que ce soit, peut-être me contenterai-je de promenades solitaires ou bien de promenades avec mon chien, je me vois tout à fait me contenter de cela, ralentir, m’accorder enfin ce repos, en finir avec l’afflux incessant des pensées, après avoir vainement affronté la médiocrité : m’y complaire, et conjurer l’afflux incessant des pensées, en finir avec ce sentiment de médiocrité, en finir avec l’envie, l’envie de n’être pas le genre de type crevant de frustration dans son pavillon funéraire, faire taire le ressentiment, ­mettre un terme au ressassement, ce moment viendra, il faut qu’il vienne, sans quoi je n’y tiendrai pas, au rythme où les pensées affluent, infiniment plus rapidement que je ne parviens à les évacuer avec ces mots, s’accumulant à l’entrée de ma tête qui n’en peut plus de devoir les traiter, les transformer en mots, leur faire un sort, encore cette histoire de sortilège, du travail à la chaîne vraiment !, du reste, j’ai travaillé à la chaîne, la nécessité m’a conduit à me lier à la chaîne, à m’y imbriquer, avec les mains, les pieds, ce manège n’a duré qu’un mois, en raison de mon, disaient-ils, improductivité, en raison de la faiblesse de mes performances, il a été mis un terme à cette expérience, à ma droite, en amont de la chaîne, les pièces s’accumulaient, de minuscules pièces carrées grillagées grisâtres, à mes pieds, sous la machine que j’actionnais, comme si les pieds étaient faits pour ça, les pieds sont faits pour marcher bien entendu, pas pour actionner une machine, à laquelle je m’efforçais de m’articuler par un mouvement coordonné des mains et des pieds, la poubelle se remplissait au fur et à mesure de mes ratés, à ma gauche, en aval, ma collègue se tordait les pouces, elle s’ennuyait tellement qu’elle finissait par me haïr, je sentais d’abord l’inquiétude de cette pauvre fille, puis son agacement, elle augmentait le son de la radio, l’ignoble ­poste de radio portatif dont chaque ouvrier à l’atelier était pourvu, qui vous matraquait de messages publicitaires huit heures durant, et, quand ils rentraient chez eux le soir, devant la télévision, les mêmes réclames publicitaires, avec des images qui bougent, l’abrutissement généralisé, du matin au soir, tous les jours que le diable fait, l’entreprise est la demeure du diable, l’entreprise c’est le diable ici-bas, les voix des animateurs et des publicités se mêlaient, interchangeables, se chevauchaient, les ouvriers échangeaient quelques mots, les machines claquaient sèchement, un claquement par seconde pour les postes les plus productifs, moi il m’en fallait le triple, de secondes, le temps de saisir entre mes doigts malhabiles le minuscule carré de grillage grisâtre, le déposer sur la tablette de la machine, le recouvrir d’une plaque d’un métal dont j’ai oublié le nom, peut-être était-ce du lithium ?,  (...)

Musique : debarras par Delphine Dora (création originale) ECOUTER

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