dimanche 27 septembre 2015

Rentrée littéraire       semaine 4
C'est la rentrée littéraire, le moment pour nous de vous rappeler l'existence de la collection L'Orpailleur dirigée par Christophe Havot chez az'art atelier éditions.

Dernier ouvrage en date publié dans la collection,  Archipels - YIN, est l’œuvre de Michel Lehoux. Ces lignes sont les prémices d'une série qui ne demande qu'à voir le jour dans les années à venir...
 
image Laurent Maginelle

Extrait (p63 à 65) : 
(...) Ils la laissèrent donc seule avec cet homme nu maintenant endormi sous la lumière crue du néon accroché au plafond, cet étranger avec sur la fesse droite encore découverte, la perle de sang qui, depuis le point d’injection de la ­drogue qui l’avait assommé, glissait avec une extrême lenteur en laissant sur la peau blême une fine traînée. Saisissant le tissu éponge plongé dans la bassine d’eau tiède, une ferraille à l’émail éclaté récupérée à la buanderie de l’arrière-cour où, prenant garde aussi de ne pas se faire remarquer, d’un mouvement furtif, aérien, elle empoigna en hâte deux ou trois fioles parmi le fatras de ses mixtures rangées sur des étagères de fortune, trois bouts de bois appuyés contre le mur de sa chambre, tenant donc le linge humide en main, elle le regardait toujours, de loin, s’attardant sur les cicatrices, remarquant les traces de vielles brûlures, ne se laissant pas distraire par la légère bosse que faisait l’objet sous l’oreiller, pensant brièvement à plus tard, au plaisir qu’elle prendrait à le découvrir, mais pour l’instant, revenant à l’étranger, essorant le tissu au-dessus de l’évier du coin cuisine, le dépliant puis l’enroulant autour de sa main, notant la respiration apaisée de l’homme, se détournant du visage, hésitant encore, puis se décidant tout de même à approcher un peu plus du corps, se penchant, s’autorisant enfin à examiner le grain de la peau, puis à passer doucement le tissu éponge sur l’épiderme brûlant, sur toutes ces traces, partout, les plis, les creux, chaque forme, frôlant les poils, pressant un peu les muscles, osant de timides massages, et lui, dans son sommeil comateux, réagissant comme une lame, par à-coups, les muscles vibrant, ondulant, et sa bouche émettant encore quelques faibles gémissements entremêlés de mots fragmentés, de syllabes incompréhensibles, et elle, s’arrêtant à chaque fois, de crainte, non pas de lui faire mal, mais de le réveiller complètement, d’avoir à affronter son regard alors qu’elle a bien conscience de le caresser, comme si Tru Huang l’avait poussée à vivre là les prémices de l’expérience qu’il se proposait de vivre avec elle, essayant ainsi de l’inciter à, lui donner le goût des hommes mûrs, du contact de leur peau plus…           puis plongeant à pleine main dans le bac rempli d’eau savonneuse, aspergeant avec de grands gestes les garçons et les filles alentours, et eux faisant de même, chacun pataugeant dans son récipient en riant, et les mères poussant des cris, donnant de petites tapes sur les fesses nues et mouillées, et elle, sautant hors de son baquet en piaillant, allant se jeter dans la grande bassine de sa voisine, et les autres se mettant à courir en tout sens, cheveux trempés et moussus, volant à tout vent, expédiant des nuages de bulles, arrosant encore les alentours, accompagnant les jets d’eau de rires explosifs, les mères feignant la colère, ouvrant grande et ronde la bouche d’où elles faisaient s’échapper des grognements de bêtes ­grimaçantes, hideuses, menaçantes, qui bientôt viendraient les croquer, et tout ce monde sens dessus dessous, avec les jeunes chiens qui les avaient rejoints et qui tels des derviches enivrés, jappaient tout en tournant autour d’eux, eux continuant de se savonner tout en se poursuivant, essayant au passage d’attraper les bulles en suspension, les faisant éclater, se pinçant, criant, ânonnant des bêtises, et bientôt, sans qu’aucun signal ne soit donné, tout cet équipage, mères comprises, allant, courant se jeter dans l’eau limpide du bras de rivière… ce jeu auquel il avait fallu renoncer dès les premières règles, dès les premiers émois des garçons, sans pourtant qu’aucun mystère ne soit fait sur ce que cela représentait, reconnaître les corps, les respecter, et maintenant ­reconnaître les sensations, les sentiments…    et elle, à présent, tout de même troublée par le corps de cet étranger, cet homme bien plus beau que cet osseux Tru Huang, étrangement attirée par ce voyageur blessé qui a visiblement souffert, tant de traces parsemées sur sa peau, comme les impacts des pires pensées d’autres hommes, alors qu’elle rince à nouveau le tissu, l’essore, et qu’elle le délaisse sur le rebord de la tête de lit, elle le scrute, puis s’éloignant, allumant le chevet, éteignant le néon, puis revenant cette fois très près, elle touche la peau, la peau à même la peau de sa main nue, et elle parcourt les cicatrices, la tête à peine posée, l’oreille collée au torse, écoutant chaque bruissement, chaque souffle, elle se nourrit de tous les frémissements…   (...)

Musique : Yin par Jeehak (création originale) ECOUTER

En commandant ce livre ou l'un des trois autres, vous nous aider à poursuivre l'expérience. La vente des livres publiés est, en effet, la seule source financière nous permettant d'éditer de nouveaux textes.

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dimanche 20 septembre 2015

Rentrée littéraire       semaine 3
C'est la rentrée littéraire, le moment pour nous de vous rappeler l'existence de la collection L'Orpailleur dirigée par Christophe Havot chez az'art atelier éditions.

Eliette, est le premier roman de Christophe Havot qui anime ce blog depuis février 2011 et y propose notamment de nombreux textes courts.

image Laurent Maginelle
Extrait (p60 à 62) : 
(...) J’ai poussé les deux vantaux qui constituent la porte principale et qui étaient maintenus par un verrou extérieur. Autrefois, quand la ferme était encore en activité, seul celui du bas était fermé dans la journée pour empêcher les poules et les poulets d’aller y souiller la litière renouvelée régulièrement le matin et changée entièrement au moins une fois par semaine. Et c’est peut-être aussi cette odeur de paille et de bouse de vache et plus encore d’herbe grasse, mâchée et remâchée jusqu’à être complètement vidée de son suc puis expulsée, qui envahit maintenant mes narines. Par endroits les murs s’effritent et je remarque au sol de petits monticules irréguliers de chaux et de ciment qui se sont détachés et que personne n’a jugé bon d’enlever car de toute façon c’est ce qui arrivera à l’étable entière : s’effriter peu à peu pour ne plus être qu’un tas informe et inodore dont il deviendra impossible (et qui s’en soucierait ?) de rétablir la fonction première, et même de l’imaginer ; une ruine parmi d’autres : maison, étable, poulailler, hangar, remise, cellier… tous appelés à perdre en plus de leur existence la nécessité même de ce qui les maintenait debout, leur rôle bien défini, pour n’être plus désignés que par ce terme générique de ruine qui finira par tout recouvrir ici. Les abreuvoirs sont secs, mais en actionnant la plaque de ferraille, comme le faisaient les vaches avec leur museau, un léger filet d’eau suinte et je suppose que le circuit du puits fonctionne encore mais je n’insiste pas. Pour quelque raison obscure, la porte par laquelle circulaient les vaches est barricadée de l’intérieur avec des planches clouées au mur qui renforcent le verrou ; elle a même été consolidée dans le bas avec des morceaux de bois hétéroclites aux couleurs bigarrées et aucun air ne provient de l’extérieur, de ce chemin qui garde encore par endroits l’empreinte des sabots.
    « J’espérais vous trouver là. Que vous ne seriez pas au b… bourg à vous… comme les autres. Enivrer. » Comme je ressors de l’étable et prends bien soin d’en refermer la porte, Eliette apparaît, littéralement une apparition, incongrue en ce lieu et encore plus improbable que la visite que je viens d’effectuer. Elle s’approche de moi. « Vous m’avez dit de passer. » Comme si elle souhaitait se justifier et me tend, avec une légère hésitation, un tremblement imperceptible, la main droite qu’elle sort de la poche de son imperméable. Je la serre dans la mienne et comme elle est maintenant tout proche de moi, je sens passer une fragrance nouvelle, artificielle, d’iode : son parfum. (...)

Musique : Eliette vu par Jeehak (création originale) ECOUTER

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dimanche 13 septembre 2015

Rentrée littéraire       semaine 2
C'est la rentrée littéraire, le moment pour nous de vous rappeler l'existence de la collection L'Orpailleur dirigée par Christophe Havot chez az'art atelier éditions.

Nous continuons avec La saison des épeires, un texte de Jean M. Mathoul, davantage connu en tant que leader du collectif musical 48 Cameras.
image Laurent Maginelle

Extrait (p21 à 23) : 
(...) Plusieurs années se sont écoulées. Carl-le-Fils a grandi. C’est un homme à présent. Sa chevelure est longue et, comme son Père, il la porte tressée. Carl-le-Géniteur a vieilli, a grossi. Son corps le trahit. Carl et son Fils habitent la ville à présent. Cette ville n’est pas bien grande. C’est tout au plus une bourgade, sise à la lisière d’un désert. Elle ne compte guère plus d’un millier d’habitants. Carl-le-Père s’y est installé avec son Fils aveugle.

    L’Aveugle n’a pas de bâton. Il dispose d’une Louve pour compagne. Aucun lien, aucune chaîne ne les emprisonne l’un à l’autre. L’aveugle suit l’animal à la trace, comme guidé par un radar. Jamais il ne heurte un obstacle. Jamais il ne tombe et ne se blesse. La Louve est pouilleuse. C’est une bête jugée immonde. Carl-le-Père, lui-même, la craint. Elle est cependant toute dévouée à Carl-le-Fils.

    Carl-le-Père chasse les rongeurs. Il faut bien vivre. Chaque matin, il pose ses pièges à divers endroits du bourg. Chaque soir, il les relève. Jamais il ne rentre bredouille. Carl écorche ses proies et y prend plaisir. Les fourrures sont vendues au tanneur. La chair est consommée. Les ossements serviront à satisfaire l’appétit de la Louve.

    Carl-le-Père a vieilli. Carl-le-Père a grossi. Inerte, il constate à quel point le monde a changé. Et si un monde change, il convient sans doute de changer avec lui, inerte, dénudé, las…

    Quelquefois, Carl songe à l’épouse du laboureur, à sa compagne disparue. Il n’a cependant nulle envie de reprendre femme. Il a son Fils, Carl-le-Jeune, l’Orphelin tout puissant qui ramènera un jour les lourds bisons à la raison.

    Carl-le-Jeune se révélera devin. Toute la ville se presse déjà à sa porte pour s’entendre dire la bonne aventure.

    Carl-le-Jeune prédit les unions, les naissances, les décès.

    Carl-le-Jeune prédit les pénuries d’eau, les tourbillons venus en droite ligne du désert, l’ensablement des faubourgs, l’approche des iguanes.

    Carl-le-Père profane les tombes indiennes. En exhume des squelettes blanchis. Perce les tibias dont il fabrique des flûtes qu’il vend aux rares touristes de passage. Il faut bien vivre, honorer quelques taxes locales, se fournir en alcools, en breuvages qui gonflent son ventre ou encore acheter quelques médications, disperser le tabac, consommer quelques épices.

    Père et Fils font bon ménage. En de rares occasions, le Père bat le tambour et le Fils chante d’une voix grave et assurée. Les femmes du quartier s’assemblent alors pour les voir et les entendre. Les mélodies sont belles mais particulièrement tristes. Les chants évoquent les bisons et la rivière que Carl-le-Fils n’a pourtant pas connus. Les chants sont graves et plein d’une force qui vient de loin, de l’écorce centenaire des arbres. Les femmes sont comme hypnotisées. Les femmes se caressent sous leur jupe. Leurs maris et leurs amants jalousent et haïssent Carl-le-Père et Carl-le-Jeune. La Louve veille.

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 (...)

Musique : Spiders of Mercy par Jean M. Mathoul (création originale avec : cymbals, soundscapes, spiders'stridulations & tibetan singing bowls ) ECOUTER

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dimanche 6 septembre 2015

Rentrée littéraire       semaine 1
C'est la rentrée littéraire, le moment pour nous de vous rappeler l'existence de la collection L'Orpailleur dirigée par Christophe Havot chez az'art atelier éditions.

Nous commençons avec Un débarras, le livre qui nous a donné envie de nous lancer dans l'aventure de l'édition. 
image de Laurent Maginelle

Extrait (p56 à 59) : 
(...) le temps n’est-il pas venu de mettre un terme au soliloque, à l’apitoiement sur soi-même, au ressassement, ou bien, de s’y abandonner une dernière fois, ressasser une bonne fois pour toutes, ouvrir ces cartons, ressasser et ruminer afin de pouvoir passer à autre chose, quand j’en aurai terminé, je passerai à autre chose c’est évident, ou bien je cesserai tout à fait d’écrire, je creuserai la terre autour de la maison, je la retournerai, je bêcherai et labourerai, je ferai des semis, j’arroserai, puis, assis dans un fauteuil de rotin sur la terrasse je deviendrai comme cet homme que j’observe parfois de l’autre côté de la rivière, un vieil homme qui demeure assis du matin jusqu’au soir, si la pluie ou la neige s’abattent sur le jardin, il se réfugie dans sa cahute, il ouvre la porte et demeure au pied des plants de rhubarbe, du matin au soir, il regarde les plantes pousser, et, quand l’hiver venu la neige a tout recouvert, il regarde la neige recouvrir le jardin et les collines environnantes, il est devenu ses plantes, je me vois tout à fait finir comme ça, je préfère finir comme une plante plutôt que comme un île flottante sur la table crasseuse d’un restaurant pour représentants de commerce, quand j’en aurai fini avec ce récit, récit n’est pas le mot ­correct bien sûr, diarrhée, diarrhée verbale conviendrait mieux, je passerai à autre chose certainement, à tout autre chose peut-être, peut-être n’éprouverai-je absolument plus la nécessité d’écrire quoi que ce soit, peut-être me contenterai-je de promenades solitaires ou bien de promenades avec mon chien, je me vois tout à fait me contenter de cela, ralentir, m’accorder enfin ce repos, en finir avec l’afflux incessant des pensées, après avoir vainement affronté la médiocrité : m’y complaire, et conjurer l’afflux incessant des pensées, en finir avec ce sentiment de médiocrité, en finir avec l’envie, l’envie de n’être pas le genre de type crevant de frustration dans son pavillon funéraire, faire taire le ressentiment, ­mettre un terme au ressassement, ce moment viendra, il faut qu’il vienne, sans quoi je n’y tiendrai pas, au rythme où les pensées affluent, infiniment plus rapidement que je ne parviens à les évacuer avec ces mots, s’accumulant à l’entrée de ma tête qui n’en peut plus de devoir les traiter, les transformer en mots, leur faire un sort, encore cette histoire de sortilège, du travail à la chaîne vraiment !, du reste, j’ai travaillé à la chaîne, la nécessité m’a conduit à me lier à la chaîne, à m’y imbriquer, avec les mains, les pieds, ce manège n’a duré qu’un mois, en raison de mon, disaient-ils, improductivité, en raison de la faiblesse de mes performances, il a été mis un terme à cette expérience, à ma droite, en amont de la chaîne, les pièces s’accumulaient, de minuscules pièces carrées grillagées grisâtres, à mes pieds, sous la machine que j’actionnais, comme si les pieds étaient faits pour ça, les pieds sont faits pour marcher bien entendu, pas pour actionner une machine, à laquelle je m’efforçais de m’articuler par un mouvement coordonné des mains et des pieds, la poubelle se remplissait au fur et à mesure de mes ratés, à ma gauche, en aval, ma collègue se tordait les pouces, elle s’ennuyait tellement qu’elle finissait par me haïr, je sentais d’abord l’inquiétude de cette pauvre fille, puis son agacement, elle augmentait le son de la radio, l’ignoble ­poste de radio portatif dont chaque ouvrier à l’atelier était pourvu, qui vous matraquait de messages publicitaires huit heures durant, et, quand ils rentraient chez eux le soir, devant la télévision, les mêmes réclames publicitaires, avec des images qui bougent, l’abrutissement généralisé, du matin au soir, tous les jours que le diable fait, l’entreprise est la demeure du diable, l’entreprise c’est le diable ici-bas, les voix des animateurs et des publicités se mêlaient, interchangeables, se chevauchaient, les ouvriers échangeaient quelques mots, les machines claquaient sèchement, un claquement par seconde pour les postes les plus productifs, moi il m’en fallait le triple, de secondes, le temps de saisir entre mes doigts malhabiles le minuscule carré de grillage grisâtre, le déposer sur la tablette de la machine, le recouvrir d’une plaque d’un métal dont j’ai oublié le nom, peut-être était-ce du lithium ?,  (...)

Musique : debarras par Delphine Dora (création originale) ECOUTER

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